L’âme d’une œuvre
artistique est l’assemblage d’un faisceau d’éléments venus des idées et
des visions d’autres artistes et de Maîtres qui nous aident à nous
former et à nous constituer une pensée sur l’art et sur la vie. Parmi
eux, il y a d’abord pour moi les hérauts d’un théâtre populaire et
engagé, d’un théâtre de troupe et de répertoire, qui ont été des guides
par leurs œuvres et leurs écrits et auxquels je ne peux que penser
aujourd’hui.
Continuer à m’inscrire dans cette histoire et
poursuivre le geste des bâtisseurs du théâtre romand en succédant à la
direction du Théâtre Kléber-Méleau que Philippe Mentha, ce modèle
d’exigence, a édifié à Renens avec son équipe, jour après jour depuis
trente-six ans, prendre les rênes de ce temple destiné à l’art
dramatique, de cette ancienne usine à gaz désaffectée devenue une
fabrique de rêves, quel noble défi pour les années futures.
En
toute logique, cette mission, je ne serai pas seul à devoir l’accomplir,
car j’ai toujours pensé et pratiqué le théâtre comme une aventure
collective, l’aventure de ceux qui œuvrent pour que perdurent ces
techniques,
ces méthodes, ces mystères, qui font qu’au théâtre les
dieux puissent venir sur scène, que la magie et l’émerveillement
opèrent comme une épiphanie partagée par le public à chaque lever de
rideau : le théâtre abrite une multitude de sciences qui sont bien plus
que des métiers. Les éclairagistes, les costumiers, les cintriers, les
administrateurs et les comédiens… tous à la fois sont les gardiens du
temple. Par eux, les œuvres des grands auteurs du passé, des auteurs
modernes ou contemporains, peuvent être montrées, partagées et
transmises aux spectateurs avec cette patience et cette précision qui
sont l’apanage des artisans du théâtre.
Friedrich Dürrenmatt,
Alfred de Musset, Luigi Pirandello et Ödön von Horva´th seront les
auteurs que nous redécouvrirons cette année au TKM. Au service du
répertoire, cette maison continuera aussi à être un lieu de création et
d’accueil, un espace d’explorations et de questionnements sur le
fondement du théâtre, une parcelle à partager avec des artistes (comme
Jean Liermier, Christophe Rauck, Anne Schwaller, Yves Hunstad et Eve
Bonfanti) qui m’ont marqué par un engagement et une esthétique qui
donnent à leur œuvre l’humanisme dont nous avons besoin.
Nous
aurons par ailleurs deux artistes associés, Cédric Pescia et Odile
Cornuz, et une collaboration avec la plasticienne Catherine Bolle. Avec
le premier, la musique sera sur le plateau, au foyer, dans tout le
théâtre. Dans un esprit de continuité, nous avons créé un programme avec
une série de rendez-vous tout au long de l’année qui vont d’une
création musicale au jazz en passant par le classique et la musique du
monde. Quant à Odile Cornuz, auteure en résidence, elle accompagnera nos
projets pédagogiques, et elle s’imprègnera aussi de la vie quotidienne
du théâtre pour y puiser la matière vive de ses écrits. Enfin, le TKM
donnera une place aux arts plastiques en invitant Catherine Bolle qui
nous proposera une installation évoquant en une réminiscence rêvée les
origines industrielles du Théâtre Kléber-Méleau.
Notre théâtre
doit être aussi un lieu de rendez-vous pour les jeunes générations. Pour
cette raison, nous allons réaliser un projet de collaboration avec les
étudiants des Teintureries, une école d’art dramatique
géographiquement
toute proche : il est essentiel que de jeunes comédiens encore en
formation approchent la réalité du théâtre, connaissent la vie d’une
troupe et d’une institution qui se fait au rythme de ses créations et de
ses accueils et puissent commencer à sentir le souffle du public, la
chaleur des spectateurs qui arrivent remplis de curiosité au foyer
chaque soir…
Nous ferons ensemble du TKM le centre névralgique du
projet urbanistique du grand Ouest lausannois, un carrefour de
circulation des publics, d’alliances artistiques et poétiques. Sont
ainsi organisés dans cette optique des rendez-vous croisés avec des
structures voisines (Théâtre de Beausobre, Théâtre de Vidy) qui
inciteront nos publics à circuler de l’une à l’autre. A l’échelle
intercantonale, nous avons à cœur également de développer les liens que
nous avons avec deux institutions de Genève, elles aussi dirigées par
des artistes (d’une part le Théâtre de Carouge, d’autre part le Théâtre
Am Stram Gram).
Tous ces projets sont rendus possibles grâce au
soutien de nos partenaires publics et privés. Qu’ils en soient tous ici
remerciés.
Omar Porras